Tu veux vivre de ta plume? (Ou trouver dans l’écriture un revenu complémentaire?) Écris de bons livres. Améliore ton manuscrit. La qualité est plus importante que la quantité en 2025.
Voilà des choses que je pourrais dire, que j’ai dites; mais qu’est-ce que tout cela signifie, au fond? Qu’est-ce qu’un bon roman? Qu’est-ce qui rend un manuscrit meilleur? Qu’est-ce qu’on entend par « qualité » en 2025?
Ce sont des questions auxquelles tout le monde a une sorte de réponse intuitive. Et, en même temps, dès qu’on creuse un peu, ça devient souvent complexe et flou…
Y a-t-il des règles objectives qui permettent de déterminer ce qui fait un bon roman? Ne sont-elles pas toujours influencées par la perspective subjective? Par la culture, l’époque, le lieu d’où l’on parle? Et si plusieurs personnes ne sont pas d’accord, qui a ultimement raison?
Ou, au contraire, n’y a-t-il que le jugement subjectif qui existe? Des goûts et des couleurs, on ne pourrait pas discuter? Dans ce cas, tous les conseils d’écriture seraient vains? Il n’y aurait ni technique ni talent ni effort à produire, juste le pur hasard qui décide, à l’aveuglette, qui aura du succès et qui n’en aura pas?
Ou encore… à la mode démocratique, ce qui est bon est ce qui jugé bon par la majorité? C’est le vote populaire qui définit la qualité? Plus un livre a du succès — chiffré en nombre de ventes ou d’étoiles —, plus ça veut dire qu’il est bon?
Je pense que tu peux facilement voir les problèmes de chaque proposition. Ma réponse sera donc : en fait, un mélange des trois. Mais, avant de définir plus précisément les contours de ce mélange, j’ai besoin de faire un long détour par une question connexe : quelles sont les raisons qui nous font plus ou moins aimer un roman?
Dans la partie qui suit, j’ai tenté de distinguer les différents facteurs qui interviennent dans notre appréciation.
Pourquoi est-ce qu’on aime un livre?
Les raisons subjectives
Il y a tout d’abord un ensemble de raisons subjectives, c’est-à-dire qui nous sont propres en tant qu’individus. C’est essentiellement à elles que sont dues les divergences de réception d’une même œuvre.
Les affinités personnelles
Il est difficile de déterminer avec certitude s’il s’agit là d’un phénomène à part entière, ou bien s’il découle uniquement des facteurs subjectifs qui suivent, assaisonnés de facteurs systémiques. Cependant, j’ai choisi de les séparer, car ce qui différencie ces « affinités personnelles » des autres raisons, c’est qu’elles demeurent hors de portée d’une explication logique.
C’est un peu l’équivalent de la personnalité pour nos goûts littéraires : si elles ont une source, on ne sait pas l’identifier. Et elles peuvent varier énormément d’une personne à l’autre, même lorsque les personnes en question ont à priori reçu la même éducation, grandi dans le même milieu, vécu les mêmes expériences.
Par ex, j’ai une affinité particulière pour les histoires d’amour, pour les histoires de guerre, pour les histoires avec du suspense et du danger, mais aussi pour la véracité et le réalisme. Comme tu peux le constater, ce sont des tendances assez générales, plutôt vagues, transversales aux genres littéraires.
On les reconnaît à un sentiment particulier de justesse, d’alignement intérieur, comme si certaines œuvres « s’emboîtaient » avec notre être profond. À l’inverse des autres raisons subjectives ou systémiques, ce sont aussi des tendances stables, qui ne semblent pas varier au cours de la vie, même lorsqu’on développe de nouveaux intérêts, expertises et perspectives.
La vision du monde
Le deuxième type de raison relève de notre vision du monde, telle qu’elle a été forgée par nos expériences personnelles. Et j’englobe ici aussi bien des évènements vécus, des situations dans lesquelles on s’est retrouvé, les réflexions qu’on a pu développer par la suite, qu’une expérience pratique d’un certain métier, ou une connaissance acquise théoriquement.
Parfois, ne pas avoir vécu certaines situations nous retient de nous intéresser à certaines problématiques, ou encore nous empêche de comprendre les réactions de certains personnages… D’autres fois, au contraire, c’est le fait de s’y connaître dans un domaine qui ruine notre suspension d’incrédulité.
J’ai simplifié pour l’exemple, mais je ne veux pas suggérer que, dans le premier cas, c’est lea lecteur·ice qui a tort et, dans le second, c’est l’auteur·ice qui aurait tort. On est dans le domaine de la subjectivité, et chacun·e est légitime dans sa subjectivité.
Après tout, il n’y a jamais qu’une manière de réagir à une situation — et peut-être que lea lecteur·ice n’accroche pas parce que son expérience est différente (ça m’est arrivé une fois en BL, quelqu’un qui m’a dit « dans ce passage, j’ai décroché, parce que je l’ai vécu, et je n’ai pas réagi comme ça »; sauf que je l’avais écrit comme moi, je l’avais vécu). Et l’auteur·ice a aussi droit à sa licence artistique; parfois, d’autres besoins priment sur le réalisme ou l’exactitude, et c’est un choix qu’on peut faire en conscience.
C’est aussi ce qui fait toute la difficulté de la relecture sensible… mais j’ai prévu un article entier dédié à ce sujet, puisque j’ai eu l’occasion aussi bien de payer des relecteurs sensibles que d’être moi-même payée pour cela.
L’expérience en tant que lecteur·ice
Enfin, le troisième type relève de l’expérience qu’on a (ou pas) spécifiquement en termes de lecture. Et là, c’est intéressant, parce que d’après mon observation, il y a en réalité deux échelles parallèles qui, en apparence, sont contradictoires.
D’un côté, le fait d’être débutant·e en lecture (ou, parfois, de s’y remettre à l’âge adulte après une loooongue pause) nous rend en général « bon public ». Parce que ce que nous découvrons est nouveau, nous trouvons plus facilement certaines idées originales ou intéressantes, nous sommes plus facilement impressionné·es ou frappé·es par les émotions que la lecture nous procure, et nous voyons moins les clichés et autres ficelles auxquelles l’auteur·ice a recours.
C’est la raison pour laquelle les gros bestsellers sont aussi (démesurément) adulés (de HP au récent Fourth Wing, en passant par Twilight, The Hunger Games ou Cinquante nuances de Grey) : parce qu’ils ont réussi à percer au-delà du milieu des habitué·es, et sont alors lus par de nombreuses personnes qui ne lisaient pas, lisaient peu ou n’avaient jamais lu ce genre de livre. Et, pour ces gens-là, cette première incursion devient une véritable révélation.
Mais, à l’inverse, il y a aussi beaucoup d’œuvres qui nous passent au-dessus par manque de familiarité, soit avec la littérature en général (notamment des œuvres dites plus exigeantes), soit avec un genre en particulier. Je sais que, de mon côté, le fait d’avoir lu des centaines de romances me rend désormais beaucoup plus sensible aux nuances, au symbolisme, au sous-texte et à l’intertexte présents dans un roman de ce genre.
Les raisons objectives
Tout cela étant dit, je crois aussi qu’il y a des raisons objectives qui expliquent (en partie) qu’on aime ou non un roman. Pas très étonnant pour une éditrice…
La narration ou « storytelling »
En fait, je crois que le cerveau humain fonctionne en suivant certains modèles — c’est ce qu’on appelle communément la logique ou la raison, notre capacité à vérifier certains raisonnements. Ce n’est pas une capacité subjective, puisqu’elle est la même pour tous·tes. Or, puisque cette capacité fonctionne de façon prévisible, il est possible de l’utiliser de façon intentionnelle pour créer le résultat voulu dans l’esprit de la lectrice.
L’autrice Rachel Aaron illustre ainsi la structure en trois actes : place tes personnages dans un arbre (acte I), met le feu à l’arbre (acte II), sauve-les de l’arbre en feu (acte III). Le fait est que, si je te raconte que des personnes se sont retrouvées dans un arbre, puis que je te dis que l’arbre a alors pris feu… Tu vas vouloir savoir comment cela s’est terminé, n’est-ce pas?
Instinctivement, nous désirons connaître la résolution, car nous sentons qu’elle contient une information qui pourrait nous être utile — comment se sort-on d’un arbre en feu? — ou, à défaut (si l’histoire se finit mal), une autre forme de sagesse : la conscience du danger qu’il y a à monter dans des arbres qui peuvent prendre feu.
Et la structure en trois actes, ce n’est pas juste une structure pour le récit global, c’est une technique qui s’emploie aussi à l’échelle des intrigues secondaires, des actes, des séquences, des scènes, des paragraphes… C’est ce qui nous donne envie de tourner chaque page d’un roman.
Je ne fais pas de partie séparée pour les personnages, parce que la réalité de ce qui rend un personnage attachant ou intéressant, ce ne sont pas ses traits statiques, mais la façon dont son arc interne est structuré. Et, par chance, ça fonctionne exactement pareil qu’un arc externe!
Si tu veux en savoir plus à ce sujet, j’ai prévu de donner, à la fin de l’année et en 2026, des masterclass spécifiques sur la façon de structurer une histoire.
La cohérence interne et le thème
Je viens d’évoquer le fait qu’une histoire contient à priori une leçon, une information qui peut nous servir. Sauf que… ce n’est justement pas toujours le cas.
Déjà, si un roman est mal structuré, son message (ou « thème » dans le jargon du milieu) ne sera généralement pas lisible. C’est un peu comme s’il manquait des blocs dans ton raisonnement; la conclusion attendue ne coulera pas de source. Et tu auras beau l’écrire explicitement, elle ne « résonnera » pas à l’intérieur des lecteur·ices, car la démonstration paraîtra faible.
Mais un roman peut aussi être bien structuré en apparence, et n’avoir malgré tout aucun sens (ou un sens très confus), lorsqu’on tente de mettre ses divers éléments en rapport les uns avec les autres.
Tu as peut-être déjà lu ce type de livre : un page-turner tant que tu étais plongé·e dedans, attiré·e par la promesse d’un twist de fin magistral… Et, finalement, quand tu le termines, tu te rends compte que tu n’as rien compris, que tu ne vois pas où l’auteur·ice a voulu en venir avec tout cela. Et, souvent, tu l’oublies rapidement après.
Bien sûr, ce n’est pas forcément la faute de l’auteur·ice si tu n’as pas compris. Mais ça peut assurément l’être, si le récit manque de cohérence interne, que les arcs internes et externes portent des messages discordants, que les résolutions micro contredisent la résolution macro, etc.
La prose
J’ai déjà eu l’occasion de le dire : la prose n’est, pour la majorité des gens, qu’un facteur très mineur dans l’appréciation d’un roman. Mais c’est un facteur quand même et, après tout, le but de cette liste est justement de montrer qu’aucune de ces raisons n’explique tout à elle seule.
Il y a pour moi trois critères objectifs sur lesquels on peut juger la prose : intérêt, clarté et immersion. « Intérêt » est peut-être le plus flou des trois; je l’ai aussi appelé « variété » par le passé, car, dans la pratique, garder l’intérêt de la lectrice passe par le fait de savoir varier les formes — qu’il s’agisse du vocabulaire, des tournures, de la syntaxe, du rythme, parfois du registre de langue, etc.
La clarté permet au lecteur de comprendre le sens d’une phrase le plus facilement possible, sans buter dessus, devoir se creuser inutilement la tête ou risquer de mal l’interpréter.
Enfin, l’immersion est l’aspect de la prose qui est spécifique à la littérature : c’est tout ce qui concerne les effets de style, de langue, la gestion des points de vue, l’exposition, les descriptions, les dialogues, etc. C’est ce qui va rendre le récit plus vivant, plus réel et crédible à un niveau « micro ».
Les raisons systémiques
Au début de ma réflexion, je n’avais pensé qu’aux raisons subjectives et objectives. Puis il m’est apparu qu’il existait aussi un autre genre de facteurs, que j’ai donc appelé « systémique », et qui est lié à notre environnement.
Ce n’est pas subjectif, parce que ça ne vient pas de nous, personnellement; mais ce n’est pas non plus objectif, car cela dépend de notre place dans le système et de l’organisation du système lui-même, qui peut changer — et le système même peut théoriquement cesser d’exister.
En gros, c’est ici qu’on peut placer toutes les influences de la société, mais aussi des mécanismes de récompense parfois internes à une plateforme, à un milieu : est-ce que ce roman t’a été chaudement recommandé par tous·tes tes ami·es? Par une personnalité que tu admires? Ou est-ce que ton entourage le déteste, et tu t’es engagé à en faire une vidéo « roast » sur YouTube, sachant que ce sont toujours tes vidéos avec le plus de vues?
Est-ce que c’est un livre trouvé par hasard, dont tu n’avais jamais entendu parler avant? Ou est-ce que c’est le bestseller du moment, le genre à la mode? Ou encore, un classique que tout le monde célèbre? Et toi, est-ce que tu te considères plutôt comme un·e intello, ou comme quelqu’un qui a peu de culture et qui a toujours détesté les cours de français?
Est-ce que tu es une femme, un homme, ou aucun des deux? Est-ce que l’auteur·ice est un·e ami·e, ou au contraire une personnalité que tu méprises? Etc.
On aime penser que nos avis, nos jugements n’ont pas de rapport avec tout ça — et, de nouveau, c’est sûr qu’ils ne s’y réduisent pas, et encore heureux! Mais, en réalité, c’est impossible de s’extraire de ce complexe jeu d’influences, qui, à défaut de déterminer nos goûts, va souvent les colorer, en particulier dans la manière dont on va les présenter aux autres.
Et la qualité d’un roman dans tout ça?
Maintenant qu’on a fouillé cette première question, on peut se pencher à nouveau sur la problématique de départ…
Pour certaines personnes, un « bon livre » sera toujours synonyme de « je l’ai aimé ». Et c’est leur prérogative. Mais, pour moi, c’est plus que ça. C’est un roman qu’on peut aimer aussi bien pour des raisons subjectives qu’objectives. Peu importe combien de personnes l’aiment, tant qu’il remplit ces deux critères. (Et, plus il cumule de raisons au sein de ces critères, plus je le jugerai bon.)
Je pense en effet que, quand on parle de qualité, qu’on affirme que quelque chose est « bon » sans autre contexte, il faut que cela puisse être étayé à un niveau logique, et qu’une forme de technique (qu’elle soit acquise de façon formelle ou intuitive) y joue un rôle.
Mais je crois aussi que les facteurs subjectifs ont toute leur place dans la discussion sur la qualité d’une œuvre. C’est même, d’après moi, ce qui définit l’art, ce qui le distingue d’un artisanat purement technique que l’on pourrait, imaginons, enseigner à une machine… C’est cette capacité à trouver un écho dans une autre personne, ce qui lie au-delà (ou en-deçà?) de toute logique les îlots singuliers que nous sommes : l’expérience humaine.
C’est pourquoi j’évite de prendre de haut les méga-succès, même quand le niveau de « hype » ne me paraît pas mérité.
Déjà, lorsqu’on est réellement capable d’analyser objectivement un roman, on s’aperçoit que toutes ces histoires ont au moins une qualité objective — indice : en général, c’est un ou plusieurs aspects du storytelling. C’est ce qui en fait souvent des lectures « addictives ». Ensuite, même leurs qualités subjectives ont une valeur intrinsèque, ne serait-ce que pour nous permettre de prendre le pouls de la société, de saisir le zeitgeist.
Tu sais maintenant où je me situe lorsque je parle de qualité, de t’aider à améliorer ton manuscrit, ou encore lorsque j’affirme que ta meilleure stratégie pour attirer le succès en 2025 est d’écrire un bon roman.
Et oui, je peux t’aider sur la partie objective, évidemment; c’est même là-dessus que je mets l’accent, car il est important pour moi de ne pas t’imposer mes préférences personnelles. Pour autant, ça ne veut pas dire que je fais l’impasse sur les aspects subjectifs : c’est là qu’on va retrouver toutes les considérations relatives au genre littéraire, à ses codes, aux attentes du lectorat, etc.
Je fais aussi beaucoup de vérification de faits (fact checking), ou peux recommander de la relecture sensible le cas échéant, tout en donnant toujours le choix aux auteur·ices de définir leur propre seuil de réalisme.
D’une manière générale, je prône une direction mainstream — c’est-à-dire le fait d’offenser ou d’agacer le moins de monde possible, surtout lorsque ça n’a aucune incidence sur l’intérêt ni le sens du récit —, parce que mon but est toujours que 1) tu vendes le plus de livres possible et 2) que tu fidélises le maximum de tes lecteur·ices… Mais mon principe ultime reste : ton nom sur la couverture, ta responsabilité!
Tu veux travailler avec moi? Écris-moi un courriel, ou bien prends directement rendez-vous pour qu’on s’en parle sur Zoom (ça dure entre 5 et 15 minutes et c’est gratuit) : https://calendly.com/jeanne_editrice/30min?
Parenthèse pub refermée, qu’est-ce que toi, tu penses de cette question? Si tu veux qu’on discute d’un titre particulier en commentaire, n’hésite pas; j’adore les études de cas!