Ton manuscrit a-t-il besoin d’une correction pro?
Les différents types de corrections, et leur part dans la qualité et le succès d’un livre
Dans les semaines précédentes, nous avons établi :
Que le marché actuel était saturé (L’état du marché en 2025),
Qu’il importait donc plus que jamais de proposer des œuvres « de qualité », autant pour augmenter ses chances d’être accepté·e en maison d’édition que pour construire une carrière d’autoédité·e viable sur la durée (La magie de la backlist),
Que la qualité d’un roman tenait autant à des critères objectifs que subjectifs (Qu’est-ce qu’un « bon » roman?),
Et qu’une des façons les plus efficaces pour remplir ses critères était d’étudier et de comprendre le succès des œuvres effectivement populaires (Écrire pour le marché).
Aujourd’hui, on fait un pas de côté, ou peut-être plutôt un pas en profondeur, puisque je voudrais aborder la place des correcteur·ices pro dans ce contexte. Il se trouve que j’en suis une et, vous allez voir, il y a beaucoup plus à en dire que les idées reçues communément véhiculées à ce sujet!
Déjà, je vais parler de correction autant pour les auteur·ices qui visent l’édition traditionnelle que pour les autoédité·es : à quel type de correction tu peux t’attendre en ME, et qu’est-ce que tu pourrais être amené·e à payer de ta poche… car, même aujourd’hui, alors que je suis à mon compte, je propose des prestations à des auteur·ices en édition tradi.
Mais je tiens aussi à lever le voile sur ce que représente réellement la correction et ce que tu peux légitimement en espérer. Dans le milieu de l’autoédition en particulier, on voit encore passer de ces injonctions dogmatiques autour de la valeur présumée d’une correction pro, qui paradoxalement en donnent une fausse image… et ne révèlent que l’ignorance de la personne qui les a formulées
Encore une fois, je ne saurais trop exhorter les auteur·ices qui font le choix de l’autoédition à sortir du carcan de l’édition traditionnelle, à cesser de la singer alors qu’iels n’ont ni ses contraintes, ni ses objectifs, ni souvent ses moyens, et à embrasser au contraire les réalités spécifiques de l’entreprise solo qu’iels se sont engagé·es à faire vivre.
Et, avant toute chose, il faut qu’on s’entende sur ce dont on parle…
Les 4 types de correction de manuscrit
Au Québec, on emploie des termes plus précis, que je vais donc aussi adopter ici; en revanche, en Europe, j’ai remarqué qu’on employait le terme de « correction » pour désigner des métiers distincts, qui, traditionnellement, sont réalisés à différentes étapes de la production du livre par des professionnel·les différent·es, car spécialisé·es.
C’est le premier problème que je vois dans le fait de clamer des choses comme « il faut payer un·e correcteur·ice pro quand on s’autoédite » ou « moi, je fais affaire avec un correcteur pro, car je veux la meilleure qualité pour mes livres ». Un? Lequel parmi les quatre types de correcteur·ices? Ce n’est pas un choix anodin, car le résultat n’aura rien à voir.
Et payer une seule correctrice alors que le standard de l’édition tradi, c’est d’en payer quatre, ce n’est pas une preuve que ton livre est de « qualité maison d’édition », bien au contraire… Heureusement, je ne crois pas à tout cela, et je vais t’expliquer pourquoi.
Pour commencer, le processus de production d’un livre en édition tradi n’est pas une vérité révélée. C’est un processus en partie arbitraire, qui a été développé pour les besoins d’une production industrielle. Ces besoins sont de deux ordres :
externes, ou vis-à-vis des client·es, afin d’assurer une certaine uniformité de production, de combler les attentes des lecteur·ices, qui ont tendance à être stables;
internes, afin d’assurer une certaine uniformité d’exécution à travers leur personnel, de faciliter l’embauche, la formation et la mobilité de celui-ci en interne, et de respecter un budget.
Et, avant qu’on s’imagine que l’édition traditionnelle aurait résolu une équation universelle : les fameuses « attentes » des lecteur·ices ne sont pas immanentes; c’est l’industrie elle-même qui les crée, et elle a le pouvoir d’habituer comme de déshabituer le lectorat à toutes sortes de choses (qui vont de la fréquence des coquilles au vernis sélectif sur les jaquettes, en passant par les conventions d’un genre littéraire).
Quant au point 2, il me semble clair qu’il est amené à varier dans le temps. Alors que le marché, les pressions économiques et les technologies évoluent, la volonté des maisons d’édition à investir dans l’embauche et la rétention de correcteur·ices suffisamment nombreux·ses et qualifié·es est susceptible d’évoluer, elle aussi.
Toutes ces précautions ayant été posées, je ne pense pas qu’il faille complètement réinventer la roue non plus. L’édition tradi demeure un bon point de départ pour structurer et expliciter les différentes étapes de correction dont un manuscrit peut avoir besoin, alors, allons-y avec les catégories traditionnelles!
Les corrections de fond : la direction littéraire
Il y a une règle implicite dans tous les processus de correction codifiés : on va du fond vers la forme, de l’ensemble vers les détails, du macro au micro. Le principe étant qu’un changement de fond pourrait amener des coupes, et donc s’attacher à la forme d’un texte qui n’a pas encore été « coupé » pourrait résulter en une perte de temps (donc d’efficience).
Tout cela est évidemment très rationnel. Mais, avant d’aller plus loin, j’aimerais souligner à quel point ces considérations sont purement productivistes, mécaniques. Leur but n’est en aucun cas d’atteindre un sommet créatif, artistique quelconque, mais bien de gagner du temps et donc de l’argent.
En tant qu’écrivaine, j’ai ainsi fini par me rendre compte que j’aime mieux réviser mes manuscrits en débutant par le micro, les détails, la formulation; c’est ce qui aide ma créativité à décanter, à faire des associations et, ultimement, à résoudre les problèmes de fond. Oui, c’est moins efficient, mais, en bout de course, c’est plus efficace, car c’est ce qui me permet d’atteindre mon objectif, qui n’est pas d’y passer le moins de temps possible, mais d’arriver à un certain niveau de qualité du texte.
Donc, d’emblée, j’aimerais déboulonner le mythe selon lequel il faut commencer par le fond, qui n’a en réalité de sens que dans le cadre d’un processus rationalisé, optimisé pour une productivité maximale. Mais admettons… la première étape est alors celle de la direction littéraire — developmental editing ou structural editing en anglais.
À ce stade, on s’attaque aux problèmes d’ensemble : structure et rythme du récit, cohérence de l’intrigue, des personnages et du worldbuilding, continuité des conflits et des enjeux, maîtrise du point de vue, des dialogues, des descriptions, etc.
Les corrections de fond : la révision stylistique ou ligne à ligne
Cette étape (line editing en anglais) est en réalité à cheval sur le fond et la forme. C’est personnellement mon étape favorite, celle où j’ai le sentiment que l’on touche réellement à l’Art littéraire (oui, avec une majuscule!).
Ce qu’on couvre en direction littéraire (l’étape précédente) a en effet beaucoup en commun avec la dramaturgie, et de nombreux auteur·ices comme éditeur·ices s’y forment, entre autres, à travers des théories de scénaristes et l’étude de films, voire de pièces de théâtre. Certes, on peut commencer à y aborder des problèmes de narration… mais, pour moi, c’est vraiment dans le ligne à ligne, quand on se penche sur le paragraphe, la phrase, qu’on entre de plain-pied dans la littérature.
C’est ici qu’on travaille les trois qualités objectives de la prose (selon moi) : clarté, intérêt et immersion. Est-ce que chaque phrase signifie bien ce qu’on veut dire, est-ce que chaque paragraphe est structuré pour servir le propos? C’est une étape qui unit une grande rigueur logique et une forte sensibilité artistique; pas étonnant que j’y retrouve ma « zone de génie »!
Les corrections de forme : la révision linguistique
Une fois que le fond est fixé, qu’on a coupé, ajouté, réécrit, reformulé tout ce qui devait l’être, on peut passer à la forme pure. C’est la fameuse « correction ortho-typo », ou copy editing en anglais.
Ici, on traque toutes les fautes de langue qui restent : vocabulaire (éventuelles confusions entre mots voisins, emplois abusifs, barbarismes, anglicismes), grammaire (accords, concordance des temps, constructions syntaxiques, prépositions), orthographe, typographie (majuscules, traits d’union, tirets, espaces normales, fines ou insécables). Il s’agit d’un polissage, mais aussi de l’application homogène de conventions déterminées par l’éditeur : orthographe traditionnelle ou rectifiée, emploi des guillemets dans les dialogues ou simples tirets, emploi de styles particuliers pour signifier l’emphase, les pensées au style direct, etc.
Les corrections de forme : la correction d’épreuves
L’épreuve (proof en anglais), c’est à l’origine un exemplaire de livre qui est imprimé à titre d’essai. La correction d’épreuves (proofreading en anglais) consiste donc à vérifier que cet exemplaire est bien conforme à nos souhaits avant de lancer le tirage.
Cette étape était d’autant plus critique par le passé que l’impression était réalisée sur des presses offset, dont la préparation des plaques est coûteuse, et n’est rentabilisée qu’à partir de plusieurs centaines d’exemplaires imprimés. Avant de préparer cesdites plaques, il fallait donc être le plus sûr possible que la mise en page était réellement finale et impeccable!
Aujourd’hui, on imprime toujours sur offset, notamment les gros tirages, mais l’impression numérique s’est aussi énormément développée. C’est elle qui permet notamment les petits tirages et l’impression à la demande favorisés par les autoédité·es, mais aussi par certaines collections ou branches de l’édition tradi. Et, bien sûr, on publie aussi en numérique (ebooks)…
Dans ce contexte, obtenir un résultat parfait avant toute publication ne comporte plus le même enjeu qu’avant. Des corrections peuvent toujours être apportées ultérieurement, facilement et sans frais. Néanmoins, dans l’absolu, si l’on souhaite un résultat sans erreur, ce n’est pas une étape dont on peut se passer.
Même si le texte a été corrigé et re-corrigé, la correction d’épreuves sert à repérer des coquilles qui peuvent s’être insérées au moment de la composition, mais aussi des ratés de mise en page ou des oublis de mentions légales, qui se produisent aussi bien dans les livres papier que numériques. (Donc, oui, il va y avoir autant de corrections d’épreuves qu’il y a d’éditions — ou d’ISBN, si cela t’aide à les distinguer.)
Si tu vises l’édition traditionnelle (maisons d’édition)
Tu es toujours avec moi? Maintenant qu’on a balisé le champ, on peut passer à ce que tout cela implique pour toi, auteur·ice qui cherche à faire carrière dans la littérature.
La position naïve consiste à se dire que, si tu passes par une maison d’édition, tout sera à sa charge et tu n’as à te soucier de rien. En théorie, c’est bien le cas, mais, dans la pratique, cela peut être différent.
D’une part, la maison d’édition sélectionne les manuscrits. Même si elle compte les retravailler ensuite, elle peut décider de placer la barre où elle veut, notamment pour tout ce qui concerne les problèmes de fond, qui peuvent être les plus difficiles à résoudre (soit qu’un·e auteur·ice refuse de modifier le fond de son texte, soit qu’iel n’y parvienne pas).
Cela signifie que, pour réussir à être accepté·e, tu vas peut-être devoir investir toi-même dans une direction littéraire. Or, cela peut représenter un montant d’argent non négligeable… et c’est pourquoi j’ai créé une prestation moins lourde (et beaucoup moins coûteuse) : l’analyse éditoriale, qui est une sorte de direction littéraire sans suivi.
Du reste, j’admets en toute transparence que, si je suis forte en analyse, je suis moins à l’aise avec la pratique du suivi. J’ai toujours peur d’être soit trop, soit pas assez directive avec les auteur·ices : jusqu’où insister si l’auteur·ice ne réécrit pas à ma satisfaction? Suis-je en train de lui imposer ma façon de voir? En même temps, si je lea laisse faire à sa guise, est-ce que je sers encore à quelque chose?
Et, à ce propos, même si je crois réellement qu’une direction littéraire (ou une analyse éditoriale) peut aider dans de nombreux cas, j’ai mes propres réserves par rapport à sa nécessité universelle et absolue. Après tout, on voit régulièrement des livres avec des problèmes objectifs atteindre le statut de bestseller.
C’est d’ailleurs, à mon sens, la raison principale pour laquelle de plus ou plus de ME ne proposent plus de vraie direction littéraire : à quoi bon, si cela ne crée pas de valeur ajoutée? Si les lecteur·ices n’y sont pas sensibles, et plébiscitent des romans où figurent à foison des « ventres mous », des passages répétitifs, des protagonistes cliché, des arrière-mondes pauvres et incohérents?
Pour ce qui est des autres types de correction, à priori, encore une fois, la maison d’édition est censée s’en charger… Mais j’entends aussi régulièrement parler de cas où le BAT (bon à tirer) arrivait à l’auteur·ice avec encore beaucoup de fautes… et je ne peux que m’interroger : si, en tant qu’auteur·ice, tu ne possédais pas une capacité solide à te corriger toi-même, ça veut dire que ton livre aurait été imprimé en l’état?
Je laisse en suspens la question de quoi faire dans ce cas; en partie parce que c’est entre ton éditeur·ice et toi, en partie parce que cela peut, d’après moi, rejoindre la situation des autoédité·es, que je vais développer ci-dessous.
Si tu vises l’autoédition
Ici, la position facile reviendrait à dire : on copie ce que fait l’édition tradi, et on embauche quatre correcteur·ices pour effectuer les quatres étapes de correction (bien que, on l’a vu, même les ME ne le fassent plus toujours…).
Outre le fait que tu risques de casquer, et beaucoup plus qu’un début de carrière en AE ne le justifie, c’est à mon avis la mauvaise approche. À la place, je te conseille de penser en termes de budget, mais aussi de résultat concret souhaité.
Comme je l’ai montré plus haut, le processus des ME est fait pour fonctionner sur tous les manuscrits (d’auteur·ices différent·es) et tous·tes les employé·es de la ME. Pour te donner une analogie, c’est un peu comme le cursus scolaire, standardisé au niveau national, par lequel on veut pouvoir faire passer tous·tes les élèves (ou presque), et qu’il puisse être implémenté par tous·tes les professeur·es.
Mais toi, en tant qu’autoédité·e, c’est comme si tu faisais l’instruction à la maison. Tu n’as pas besoin de respecter le même nombre précis d’heures de cours, ni de faire affaire à autant de profs différent·es qu’il y a de matières. Tu peux t’adapter à tes besoins réels; en effet, pour atteindre le même résultat objectif, tous·tes les élèves n’ont pas besoin du même degré ou type d’enseignement.
L’analogie n’est pas parfaite, mais tu saisis l’idée : les manuscrits sont très variés, et ont des besoins qui le sont tout autant. On parle d’écrivain·es débutant·es d’un côté, d’auteur·ices qui écrivent leur cinquantième roman de l’autre; d’écrivain·es dyslexiques et d’autres qui exercent comme correcteur·ices pro en parallèle — et tous·tes produiraient des textes ayant exactement les mêmes besoins de correction?
Les correcteur·ices ne sont pas des magicien·nes
Là, tu te dis peut-être : soit, mais lea correcteur·ice n’aura qu’à y passer plus ou moins de temps, y mettre plus ou moins de commentaires; ça ne signifie pas que le passage chez un·e correcteur·ice est superflu.
Or, pour avoir révisé plus d’une centaine de textes au fil des ans, ce n’est pas exactement comme ça que ça se passe. Dans la pratique, hélas, plus un texte nous arrive truffé d’erreurs, plus il risque d’en rester dans le texte final. La première raison est totalement involontaire, et due au fait qu’on est humain; c’est plus facile de repérer un coquelicot dans un champ d’herbe que dans un champ d’autres coquelicots.
La seconde est la conséquence d’une réalité : les correcteur·ices sont souvent payé·es au mot, à la page, ou se voient simplement imposer des échéances. (Et même quand on propose un tarif variable, le devis reste calculé de façon approximative sur un échantillon.) Si un manuscrit comporte trop de problèmes, on va généralement être contraint·es, à partir d’un certain seuil, d’effectuer un tri et de prioriser les plus gros au détriment de nuances plus fines.
Et, juste pour être bien claire : il ne s’agit pas ici de laisser consciemment des fautes dans le texte. Ce qui va passer à la trappe va plutôt relever du fond, du style, d’un aspect plus subjectif qu’on peut se permettre de travailler dans un texte très propre, moins dans un texte qui a des problèmes plus urgents, plus visibles, plus objectifs.
Enfin, s’ajoute à cela le fait évident que tous·tes les correcteur·ices ne se valent pas, que tous·tes ne vont pas autant en profondeur ou dans les détails. Et c’est aussi une bête question d’ancienneté : on apprend beaucoup en pratiquant. Je sais qu’à mes débuts, je n’étais assurément pas une aussi bonne réviseure que je peux l’être aujourd’hui, avec 13 ans d’expérience.
Non, tu n’es pas obligé·e de faire corriger ton manuscrit par un·e « pro »
Pour toutes ces raisons, il n’est pas inouï qu’un manuscrit A, après correction(s), se retrouve dans un état comparable à un manuscrit B avant correction(s). Ou peut-être devrais-je dire : avant correction par une autre personne, car il est clair que c’est difficilement le cas d’un premier jet.
Dans ces conditions, l’auteur·ice du manuscrit B a-t-iel forcément besoin de payer un·e pro, alors que son manuscrit est déjà au même niveau que beaucoup de textes qui se publient tels quels aujourd’hui (en ME ou en AE)?
Pour moi, il n’y a pas d’obligation formelle. Et je sais que ça choque beaucoup de monde dans le milieu; en tant que réviseure, mon rôle est apparemment de vous faire croire que tous·tes les écrivain·es sont des incapables, nul·les en français, et qu’iels ne seront sauvé·es qu’en consentant à transférer une coquette somme de leurs poches vers les miennes… Sauf que c’est faux, et problématique à plus d’un niveau.
Tout d’abord, ce qui est vrai pour le fond l’est aussi pour la forme : l’immense majorité des lecteur·ices ne voient pas les fautes de français, surtout les plus usuelles. C’est toute la contradiction d’ailleurs à répéter que « la révision est un métier ». Oui, et c’est justement pour ça que la plupart de ces fautes ne sont discernables qu’aux yeux d’un·e autre spécialiste.
Contrairement au mythe propagé par certain·es, avoir cent coquilles dans ton manuscrit n’affectera aucunement tes ventes ni tes avis clients. (Parce que cent, dans un roman complet, c’est peu.) Si c’est ce que ça prend pour que tu aies les moyens de t’autoéditer, de sortir ton prochain livre, il n’y a pas photo que c’est la bonne solution pour toi, à ce stade de ta carrière.
Et, deuxièmement, j’estime que déresponsabiliser les écrivain·es vis-à-vis de la qualité de leurs textes n’est pas leur rendre service, au contraire. Or, c’est bien ce qu’on fait quand on trace une distinction absolue entre écriture et correction, quand on affirme qu’il est « impossible » de se corriger soi-même, ou que ce n’est pas « le travail d’un·e écrivain·e » que de produire le meilleur texte possible par ellui-même.
Bien sûr qu’on peut être écrivain·e sans être « bon·ne en français ». C’est possible. Mais ça ne veut pas dire que c’est la norme, et encore moins l’idéal. Disons que chacun·e fait avec ses propres limites.
Ce qu’on observe dans les faits, c’est que nombre d’écrivain·e ne sont même pas capables d’évaluer le travail que leur fournit un·e correcteur·ice. Iels se reposent sur le fait d’avoir payé, et parfois d’avoir payé cher — ce qui est souvent, et à tort, considéré comme une preuve de professionalisme —, pour ne pas avoir à juger par elleux-même si le résultat est vraiment à la hauteur des standards qu’iels affichent. C’est là qu’on rejoint la partie précédente, et je vais donc en faire ma conclusion.
Conclusion
Aucune des étapes classiques de correction ne sont des lois, des commandements divins. Ce sont avant tout des procédés de standardisation qui ont vu le jour dans un marché très différent de l’actuel. Aujourd’hui, entre les plateformes d’écriture en ligne, les livres numériques et l’autoédition, les attentes des lecteur·ices peuvent être très variables selon les formats, les genres littéraires, les modes d’édition. Il n’y a plus un standard unique qui s’impose uniformément à toute production écrite.
En tant qu’écrivain·e, en ME ou en AE, tes priorités sont donc de gérer ton budget et d’honorer les standards qui te sont propres. Et honorer tes standards ne consiste pas forcément à dépenser plus d’argent en prestations, mais avant tout :
à apprendre à améliorer toi-même tes textes autant que tu en es capable;
à acquérir assez de compétences pour pouvoir juger et donc choisir tes prestataires (ou, en ME, pour suppléer aux éventuelles insuffisances du travail éditorial);
voire à te passer stratégiquement de prestataires payant·es pour des projets déterminés, le temps que tu aies assez d’argent pour envisager un projet de plus grande envergure avec une correction pro.
L’important, c’est de savoir pourquoi tu fais les choix que tu fais et de les assumer. Et, d’expérience, les peurs respectives d’être jugé·e, de ne pas être pris·e au sérieux ou de ne pas paraître légitime sont de très mauvaises conseillères en affaires…
Connaissais-tu ces quatre étapes standard de correction, et les respectes-tu? Si oui ou non, pourquoi? Ou, si tu es en ME, est-ce que ta maison d’édition procède autrement? On en discute dans les commentaires? 😃
(Si ça t’intéresse : au sein des Éditions Laska, nous faisions généralement trois passages, voire seulement deux si le fond nous convenait tel quel. Mais je reconnais aussi que ça donnait des livres finis avec plus de coquilles que ce que je tolère dans mes propres romans AE, qui bénéficient du privilège du long terme, un avantage concurrentiel spécifique à l’AE.)
Lectures additionnelles :
Over 30 Years, 40% of Publishing Jobs Disappeared. What Happened? sur PublishersWeekly.com
Je ne connaissais pas non plus en détails ces 4 étapes !
Après lecture, je me dis que c'est presque plus intéressant de solliciter quelqu'un sur la partie "fond" pour partir sur de bonnes bases...
Est-ce que l'analyse éditoriale dont tu parles s'apparente à de l'alpha-lecture ?
Pour la partie correction de forme, je le vis un peu comme une recherche de légitimité d'autrice : je me suis fait corrigée (bonus si j'ai déboursé une coquette somme) donc je suis une autrice professionnelle...
Je n'avais jamais réfléchi aux standards qui évoluent mais ça me saute aux yeux maintenant - dont les fameux bouquins bestsellers qui sont creux et maladroits ^^
Très intéressant ! Personnellement, pour le moment, je fais appel à des bêta-lecteurs (pour le fond essentiellement) et une correctrice (pour l'orthographe et la grammaire) bénévoles - recrutés parmi mon entourage et des amis auteurs - car je n'ai pas les moyens de faire appel à un pro. Mon objectif, à l'heure actuelle, est d'arriver à un point où mes romans se financeront eux-mêmes, sans avoir à piocher dans le budget familial, ce qui en clair signifie qu'en ce moment je travaille à publier un roman avec un budget de 15€... 😅 Mais si ce roman se vend assez bien, j'espère avoir les moyens pour les prochains de faire appel à un pro pour la correction ortho-typographique.